La tristesse était toujours présente, elle le serait sans doute pendant longtemps. Après les larmes du désarroi, Félinas s’était ressaisi et il avait alors accompli les tâches qu’il fallait, l’annonce du décès de son maître aux comtesses d’A&C et du Béarn, et une annonce publique également.
Il avait aussi, avec l’aide de Dame Azurely, contacté l’Archevêque pour que Wilou ait les obsèques qui lui revenait de droit.
La première journée fut terrible, ce sentiment de manque qui vous vrille les entrailles, et le désarroi en voyant le visage sans joie de Dame Azurely. Les visites étaient plaisantes, réussissant à détourner un peu l’esprit de la tristesse de la perte d’un proche, montrant que la mort d’un homme de la trempe de Wilou ne laissait pas tout à fait indifférent, sauf à ceux qui pensaient que la politique et le pouvoir valait mieux qu’un peu de recueillement auprès d’un homme qu’ils ont pourtant côtoyés.
Encore une fois, Félinas ne comprenait pas ce que Wilou était allé faire dans ce monde de personnes dont le sort des autres laisse indifférent, ce milieu emplit de nombrilistes impénitents, ce milieu où la vie des amis n’est rien à côté du pouvoir que les élections donneraient. Pourtant nombre d’entre eux criaient haut et fort qu’ils ne demandaient le pouvoir que pour une seule chose, le bien et le respect des Armagnacais, mais les événements montraient bien qu’il n’en était rien, puisque même la mort d’un des membres du conseil n’avait pas détourné, ne serait-ce qu’un instant, ces personnes de leur quête du pouvoir.
Le pire était sans doute ce qu’il avait entendu dire d’une des prétendantes au conseil, une sorte de réjouissance d’entendre que le Juge était mourant. Pathétique et à vomir.
Lui n’espérait plus qu’une chose. C’est que Dame Azurely parte bien vite de ce Comté où la vie des autres ne compte pas.
Car il s’était juré de reporter toute son attention, toute sa dévotion au service de Dame Azurely. Il fut un fidèle serviteur de Wilou, il sera tout aussi fidèle à sa nouvelle maîtresse.
Aussi, c’est sans trop de conviction qu’il s’était défendu de participer à la conversation de Dame Azurely et ses amies, mais il avait été aisément convaincu par la tristesse des yeux de cette dernière.
Revenant donc avec quelques verres de vin d’Anjou, qu’il savait qu’ils redonneraient un peu de baume au cœur de l’Angevine Azurely, il sourit aux personnes présentes en s’inclinant et répondit :
Que dire de Wilou, sinon que du jour où je l’ai vu, j’ai tout de suite compris qu’il était un homme au grand cœur, même si bien souvent il le cachait derrière une carapace. Il suffisait de parler un peu avec lui, de partager un peu de son temps avec lui pour le comprendre. Malheureusement, beaucoup de personnes se fient aux apparences et ne font pas l’effort de forcer les carapaces. Et ces personnes, bien souvent considéraient alors Wilou bien autrement que ce qu’il était. Combien de soirées avons-nous passés à rire de ces facéties ? Combien de vagabonds ont bénéficié de sa gentillesse ? Je le revois encore nombre de fois donner des conseils à ces personnes et parfois même leur fournir des denrées à bas prix pour leur donner un petit coup de pouce.
Le simple fait de parler de Wilou lui redonnait du baume au cœur, une sorte d’excitation naissait en lui.
Combien de fois il me sermonnait en me disant : « Fel, arrête de m’appeler mon maître, je suis ton ami, tout simplement ! » ?
Je l’ai effectivement suivi dans toutes ses aventures, partageant ses joies, et elles ont été nombreuses, partageant sa tristesse de se voir considéré pour ce qu’il n’était pas, et cela est malheureusement arrivé trop souvent.
Que dire aujourd’hui, il me semble qu’il va bientôt ce relever et me demander une chopine de bière, boisson qu’il affectionnait plus que tout ! Je suis triste de l’avoir vu partir dans cette période de trouble. Je suis triste de l’avoir vu partir tout court d’ailleurs. Et je m’en veux, oui, je m’en veux de l’avoir laissé partir tout seul ce jour là, j’aurais dû l’accompagner pour le défendre ; j’aurais donné ma vie pour le protéger, pour qu’il soit à ma place et que Dame Azurely n’ait pas ce visage triste qui lui sied si mal !
La tristesse revenait à grand pas.... comment faire autrement de toute façon que d’être triste ?